De l'autre côté du miroir [PV Roni Miller]

Même quand on était une mère heureuse et dévouée, on avait parfois besoin d’un petit remontant. Les enfants étaient à l’école, le plus petit était gardé par une voisine pour la journée, Maïa avait un peu de temps pour elle. Elle avait envie de faire ce qu’elle ne s’accordait qu’exceptionnellement le temps de faire, parfois, le soir, aller dans un bar. Elle les visitait généralement quand elle avait envie de se trouver quelqu’un pour un moment un peu hors du temps, un moment qui n’avait pas pour objectif de se prolonger bien au-delà d’une nuit. Pour l’instant, elle avait donc envie d’autre chose.

Roni’s bar. Un nom simple, qui disait bien ce qu’il voulait dire. C’était un bar et c’était une femme appelée Roni qui le tenait. Qui était exactement Roni, cela, elle ne le savait pas. Mais si elle avait un joli minois, elle se ferait peut-être draguer après un verre ou deux. A moins que Maïa trouve un joli popotin installé au bar. On verrait bien. Même si elle rentrait seule, elle était quand-même contente de se retrouver un peu seule sans enfants. Elle poussa la porte du bar, posa son regard sur la femme derrière le comptoir et… manqua un battement de son cœur.

La femme lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Voilà qui était tout à fait surprenant. Elle avait déjà entendu dire que certaines personnes avaient rencontré des sosies dans cette ville, mais c’était la première fois que ça lui arrivait. Elle en serait pour ses frais en ce qui concernait la drague de la tenancière. Ce serait étrange quand-même. Cela dit, son profil était sexy, elle ne se savait pas si sexy. Elle sourit à sa propre pensée complètement farfelue et décida de surprendre la dame et de voir ensuite ce qui allait se passer. Elle gagnerait peut-être une copine, au final.

« Bonjour, très chère. J’ai comme l’impression de vous avoir déjà vu quelque part. N’est-ce pas tout à fait étonnant ? »

La femme ouvrait des yeux ronds et cela fit rire Maïa, d’un rira clair et plein de chaleur et de bienveillance. Elle ne se moquait pas, elle appréciait seulement l’humour de la situation. Elle avait été surprise elle-même, mais il était certain que s’il devait y avoir des sosies en ville, elles en étaient. Les différences entre elles se limitaient visiblement à la coupe de cheveux, la tenue et peut-être un peu la corpulence. C’était étrange de se retrouver face à son miroir, même si ce n’était pas déplaisant au regard de Maïa. Elle avait toujours aimé les coïncidences de ce genre. C’était distrayant.

La femme se reprit bien assez rapidement. Elle devait être habituée à encaisser les chocs. Une femme forte et solide, qui se battait contre les déboires de la vie. Maïa admirait cela. Elle la contempla avec curiosité. C’était une femme assez tournée vers les autres et elle était toujours curieuse de mieux connaître et d’apprendre à en savoir plus sur les gens qui l’entouraient. Ce n’était pas simplement parce que cette femme était son sosie qu’elle s’y intéressait, mais cela faisait toujours un angle d’approche intéressant. Et puis, elle ne pouvait s’empêcher de laisser ses pensées vagabonder sur les champ des possibles relationnels.

« Margarita s’il vous plait », dit-elle sans ciller. « C’est assez curieux, n’est-ce pas ? J’en avais entendu parler, mais je ne l’avais jamais constaté de moi-même. »

Elle la regarda s’occuper de sa commande en trouvant qu’elle n’avait pas l’air d’être faite pour ce genre de boulot. Enfin, elle n’était pas maladroite, et elle n’allait pas si mal dans le décor. Mais avec sa prestance et avec son allure, elle aurait parié que c’était le genre de femme qui était aux commandes et qui gérait les autres, et pas juste dans un bar. Mais elle pouvait se tromper. En tout cas, elle serait heureuse de découvrir qui elle était vraiment et si elle savait des choses à propos de tout ce qui se passait ici. Savait-elle seulement qui elle était ?

« Cette ville est plutôt bizarre, il faut avouer. Les gens semblent tous cacher un truc, et ya des dragons qui poussent de nulle part. Mais du coup, ça doit être bon pour vos affaires. Les gens viennent discuter au bar, quand ça devient étonnant. »

L’étonnement ne faisait pas plus partie de la vie de Roni que de la sienne, apparemment. L’apparition de ce dragon au sommet du Mont Olympe avait définitivement convaincu la plupart des personnes que quelque chose se passait, quelque chose de pas naturel. Quant à savoir ce que la femme et elle pourraient en déduire, elle ne le savait pas elle-même. Tout ce qu’elle pouvait dire, c’était qu’elle avait vu des choses changer tout autour d’elle et elle ne pouvait s’empêcher de se demander ce qui se passait. Elle avait l’intuition que c’était quelque chose de plus grand qu’un simple dragon, qui n’était que le précurseur de quelque chose.

« Merci », dit-elle en récupérant son cocktail et en déposant quelques pièces sur le comptoir. « Je ne sais pas ce qui vous chamboule, mais je peux vous dire que vous ne ressemblez pas à une barmaid. Je vous sens bien destinée à plus grand, je ne sais pas pourquoi. »

Elle but une gorgée. Le cocktail était excellent, parfait pour elle. Elle adorait son goût tel que cette femme l’avait préparé. Aucun doute, elle savait s’y prendre. Mais ça ne voulait pas dire que Maïa avait tort pour autant. Tout ce que ça prouvait, c’était qu’elle savait faire son boulot. Et l’un n’excluait pas l’autre. Elle la regarda se servir un whisky. Elle allait donc avoir une compagne pour boire un bon coup. Voilà qui était du plus bon effet sur la mère de famille d’accueil. Elle aurait pu le lui proposer, mais elle aimait que ce soit venu d’elle.

« Santé ! » répliqua-t-elle avant de reprendre également une gorgée. « Au moins, vous en tirez un bénéfice. Je ne sais pas si c’est le cas de tout le monde. Je me demande quels soucis… ou quelles découvertes ce dragon va nous apporter. »

Elle avait l’impression qu’elle était à l’aube d’une grande aventure et que cette aventure allait peut-être la conduire quelque part où elle n’aurait pas pensé aller. Mais elle ne savait rien, elle ne savait pas, et elle se disait que les choses ne pouvaient pas l’atteindre. Elle était quelqu’un de commun, une femme ordinaire. Elle avait toujours pensé cela. Cela dit, et si elle se trompait. Personne n’était à l’abri d’une erreur et si tel était le cas, elle le découvrirait certainement assez tôt. Ca pouvait même lui être dangereux. Non, les choses ne coulaient pas de source, et non, ça ne la rassurait pas.

« Je ne sais pas. J’ai l’impression qu’on est à l’aube de quelque chose d’imprévisible. Et si le vent tourne, qui sait ce qu’il nous soufflera. Mais peut-être aurons-nous de bonnes surprises. Je l’espère, voyez-vous, car on ne peut que l’espérer quand on veille sur des enfants. »