Besoin d’air frais - Renard & Tenth

C’est le pas mélancolique que l’homme en costume dériva de son chemin pourtant tracé dans son esprit. Il lui manquait une pièce pour évaluer et mener des recherches sur ces Pads qui l’intriguaient tant. Accompagné de son TARDIS, toutes ses interrogations auraient été plus facile à résoudre, mais voilà qu’il était seul, à nouveau. Il avait vécu beaucoup trop d’adieux dans sa longue vie et il se souvenait de chacun d’entre eux. Il espérait, au fond de lui, que son plus fidèle compagnon se porte bien, là où il est. Sans doute coincé dans un endroit hors du temps. Comme lui actuellement, au Tribunal, tentant en vain de trouver une réponse à toute cette mascarade. Il en avait réglé, des problèmes, des guerres, des qui-proquos. Et pourtant, là… Jamais il ne s’était senti aussi démuni. En y repensant, si… Lorsque Rose s’était faite piéger dans l’autre univers. Il soupira en repensant à ce souvenir atroce.

Toujours est-il que, quand il sortit de ses pensées, il n’était plus du tout là où il comptait se rendre à l’origine. Il tourna sur lui-même et rebroussa chemin, en prenant le temps de se passer vigoureusement les mains sur son visage.

Docteur, réveille-toi et réfléchis bon dieu.

Cette fois c’est le pas décidé qu’il repassa au même endroit, avant de se stopper devant un agent assis au sol, l’air contrarié. Il fronça les sourcils et s’accroupit à la hauteur de l’autre homme en penchant la tête d’un côté, curieux. Ses recherches pouvaient attendre. Et puis, il n’était pas vraiment d’humeur à réfléchir à tous ces problèmes, il fallait en convenir. Parler de la pluie et du beau temps était soudainement quelque chose de très attirant.

- Eh bien, il faut croire que cet endroit glauque plombe le moral de tout le monde un jour où l’autre.

Il prit place sans demander s’il gênait, aux côtés de l’agent. Sa tête reposa sans douceur sur le mur dans son dos et le Docteur soupira.

- Habituellement j’aurais amorcé le dialogue avec une blague sans queue ni tête mais… Il marqua une courte pause, faisant mine de réfléchir. Nan… Y’a rien qui me vient.

Il plongea ses yeux dans ceux de son acolyte et lui offrit son plus grand sourire. Au moins il avait toujours ça en réserve.

Face à la froideur de l’agent perdu, le Docteur perdit son sourire pour une mine plus grave. Il n’était pas vexé, loin de là, il en avait vu d’autres. Et il était loin d’être le dernier à envoyer paître les autres qui voulaient discuter alors que lui non. Alors il n’allait pas en dire plus, et comptait bien laisser le jeune homme à ses réflexions.

Il s’apprêtait à se relever et s’excuser, quand finalement l’intérêt naquit dans l’esprit de son voisin. Il se remit dans la même position et l’écouta avec un faible sourire en coin. Tout ce qu’avait en tête son cadet, il l’avait également. Cela lui rappelait d’horribles souvenirs qu’il avait vécu ces dix dernières années. Être Seigneur du Temps était un lourd fardeau qu’il s’était juré de porter jusqu’à la fin de ses jours. Il laissa passer quelques secondes avant de prendre la parole.

- Imagine que tu te retrouves à Pompéi. Le jour de l’éruption. Tu essaies de sauver la ville entière, sachant qu’elle est condamnée. Tu essaies de toutes tes forces. Mais en faisant ça, tu te rends compte que c’est par tes actions que la catastrophe survient. Avoir la capacité de voyager dans le temps est un pouvoir que personne ne devrait avoir. Il soupira, se remémorant l’écho des paroles amères d’Adélaïde Brooke. Il existe des points fixes dans le temps qu’il est impossible de modifier et que personne ne doit toucher. Pompéi en fait parti. Comment peut-on savoir ce qui découlera d’un Vésuve qui n’entre pas en éruption ? Rien que ça pourrait déclencher la fin du monde.

Il planta ses yeux, jusqu’alors perdus dans le vide, dans ceux de l’autre agent. Il savait que ce discours n’était pas facile à entendre. Il l’avait répété de nombreuses fois, à Rose, à Martha, à Donna. À lui-même surtout. L’épisode de Mars dans lequel il avait décrété que les lois du temps étaient les siennes et qu’elles lui obéiraient lui pesait lourdement. Il était heureux d’être tombé sur une personne aussi intelligente qu’Adélaïde, qui avait fait l’impensable pour redresser le cours de l’Histoire.

- Ton renard, tu le laisses vivre sa vie et tu ne t’en préoccupes pas. Il causera la mort de dizaines de lapins innocents parce que c’est ce qui est écrit dans l’Histoire. Tu ne peux pas t’aventurer dans la passé et modifier celui-ci sans connaître les répercussions sur ton futur. Même si tu le sais, tu ne t’en préoccupes pas. C’est le fardeau des voyageurs temporels.

Que personne ne devrait avoir à porter à l’exception de lui.

Le clapet rabattu par le jeune agent, Tenth ferma sa bouche et, la mine presque vexée, haussa les sourcils en l’écoutant.

Il avait l’impression de se retrouver en face de l’un de ses anciens compagnons, à qui il s’efforçait d’expliquer la dure réalité des voyages dans le temps. Il n’était plus vraiment habitué à ça et il lui semblait qu’il avait perdu la main.

- La vie n’est pas juste, sinon on ne serait pas là à essayer de remettre un sens à cet univers renversé. Dit-il, un peu lassé d’entendre ce genre de discours malheureux. J’reviens juste sur ton exemple de Tchernobyl. Oui on aurait pu assommer celui qui s’est trompé de bouton, on aurait pu. Et après ? Qui te dit qu’un deuxième Hitler ne se cachait pas parmi ceux qui ont succombé aux radiations ? On ne sait pas. Personne ne peut le savoir. Seul le Temps fait son ouvrage. Il faut juste… lui faire confiance et le laisser.

Le Docteur posa son regard sur son collègue, il l’observa pendant un court instant, détaillant ses traits tirés et ses yeux fatigués. Il connaissait ce regard. C’était celui qui n’est pas loin du fond, qui a besoin d’une petite impulsion pour remonter à la surface.

De toute façon, quoi que les agents pensaient concernant ce sujet délicat, ils ne pourraient rien y changer. C’était ainsi et pas autrement. Même lui, un Seigneur du Temps, l’avait bien appris à ses dépens. Mieux valait qu’ils pensent à autre chose plutôt qu’ils restent ici à périr sous l’accablement.

Tenth se leva sur ses pieds et tendit une main à l’autre homme, toujours assis par terre.

- Aller debout. On va se changer les idées. C’est pas bon de rester seul à broyer du noir. Crois-moi. C’est quoi, ton nom ?

Debout sur ses pieds, la main tendue vers son collègue, le Docteur fut joyeusement surpris de ne pas se prendre un vent monumental. Disons que les deux n’étaient pas en accord sur beaucoup de choses et qu’il s’était pris de beaux rentre-dedans depuis qu’il avait osé s’inclure dans l’intimité du jeune homme. Du coup il s’était imaginé une claque dans la paume, une remarque cinglante ou une ignorance non feinte. C’est donc avec un large sourire que Tenth empoigna la main du voyageur avant de la tirer vers lui, non sans mal. Il manqua même de chuter sur le-dit Renard, évènement qui aurait une fois de plus jouer en sa défaveur à ses yeux.

- Renard ? Tu t’appelles Renard ? Répéta-t-il, amusé. Un renard qui ne croque pas de lapins, voyez-vous ça ! J’suis le Docteur. Pas forcément mieux que Renard tu me diras. Mais ici on m’appelle Tenth, enfin… c’est moi qui me suis présenté comme ça pour éviter la confusion avec mes doubles, vu que j’en ai… beaucoup. BREF.

Il secoua vaguement la main, signe que s’il s’aventurait sur ce sujet, ils y seraient encore demain.

- Alors, t’as une préférence ? Tu veux qu’on descende, dit-il en désignant Baiame, qu’on se promène dans la France du 18ème, qu’on aille simplement se boire un verre ? Il redevint sérieux, se rappelant qu’il n’avait pas été forcément le bienvenu au départ. Je… Je peux aussi m’en aller et retourner à mes occupations. Mais honnêtement j’ai oublié c’que je faisais.

Il haussa les épaules, les mains dans les poches et les sourcils froncés. Il parlait à outrance et trop fort, c’était un fait. De là à s’attirer des emmerdes, peut-être pas. Il soupira en voyant la force de caractère qui lui faisait face. Fort, las, mécontent des actions qu’il faisait par obligation, froid et antipathique. Mais tout ceci ne freina pas le Docteur. Il l’invita d’un large sourire et d’une tape dans le dos à le suivre. Renard avait besoin d’air, de se changer les idées, de souffler un peu. Quoi de mieux que de boire un verre entre des rois et des jupons français ?

Il aurait bien aimé l’emmener dans son TARDIS, ce garçon. Tristement, ce ne serait que via leur pad temporel qu’ils allaient voyager. C’était totalement différent, à vrai dire. Il ne se lassait jamais des différentes réactions qu’avaient ceux qui pénétraient dans la boîte bleue. C’est plus grand à l’intérieur.

Cette phrase lui manquait terriblement.