JT exceptionnel du 13h - Jeudi 18 avril

« Ah non mais non ! Je partage pas mon JT avec l’autre énergumène pas fini !
- De toute façon, t’as pas le choix ! »

C’est dans un soupir exaspéré que je me dirige dans ma loge pour passer sous les derniers maquillages. Il fallait que je sois présentable pour ce JT exceptionnel du 13h qu’on allait présenter à deux étant donné que pour raisons de travaux, son JT du 20H ne pourrait pas avoir lieu. Et voilà qu’en plus, il entre fièrement dans ma loge. Je ne tarde pas à lui jeter un regard sombre, suivi d’un nombre incalculable de choses qui me tombait sous la main.

« Ah mais non, le JT ça suffit ! SORS DE MA LOGE TOUT DE SUITE ! FOUS LE CAMP SOMBRE IMBÉCILE !
- Calmos la diva, si on est ici avec Caleb, c’est parce que y’a une fuite dans sa loge. »

Rageant en silence, je me tourne vers le miroir, laissant les maquilleuses terminer leur travail. Je détestais cette journée avant même qu’elle ne commence. Comme par hasard, une fuite dans sa loge. Il allait falloir que j’en dise deux mots à Nathan de tout ça.

« Je tolère ta présence, PAS TOUCHE A MES AFFAIRES ! » lâchais-je.

Arrivant au bout de la tolérance, la maquillage et la coiffure étant terminée, je quitte ma loge rapidement, ne pouvant respirer le même air que ce sombre idiot. Je n’avais pas le temps d’aller en parler avec Nathan que le direct allait bientôt démarrer. Ouvrant une bouteille de parfum périmé, je laisse tomber le liquide sur le sol devant ma loge discrètement avant de me diriger vers le plateau. J’espérais secrètement qu’il glisse, il se ferait pas bien mal mais ce serait très drôle vu l’odeur passée du dit parfum.

Je retenais le maudit clown qu’il avait glissé dans mon placard, JT partagé ? Il allait pas être déçu. Je m’étais glissée dans les locaux de la production quelques heures plus tôt pour glisser deux trois éléments sympathiques entre les reportages dont une vidéo que j’avais réussi à obtenir grâce à l’aide d’une amie dont je tairais le nom. Finalement, on m’appelle pour le direct. Alors que je me dirige vers ma chaise, je croise son regard, le voilà fièrement installé à ma place.

« C’est une blague ?! Pousse toi ! C’est mon fauteuil ! » énonçais-je avant de le pousser.

Mais voyant clairement qu’à côté de lui, j’étais un poids plume, je rage intérieurement et m’installe à sa gauche. Le prompteur est lancé.

Générique de début.

« Mesdames et Messieurs, bonjour. Vous remarquerez que nous sommes exceptionnellement présents tous les deux pour ce JT du 13H, suite à un problème technique, le JT du 20h n’aura pas lieu. Dans l’actualité aujourd’hui… »

Je foudroie Caleb du regard, le bousculant légèrement pour récupérer ma bouteille d’eau avant de lever le regard vers le prompteur.

« L’animal volant non identifié apparu sur l’île depuis février dernier n’est plus seul. La créature que les habitants appellent dragon a été aperçue avec un second congénère de couleur verte. »

Le reportage sur le dragon est lancé tandis que je recrache l’eau salé qui se trouvait dans ma bouteille. Le mufle ! L’attention revient rapidement sur nous.

« La banque de sang de Baiame appelle au dons du sang. La police enquête sur un traffic illégal de sang soupçonné à cause des vols réguliers que connaît la banque. Le Metro-General Hospital commence à manquer de sang pour les patients dans le besoin. »

Un nouveau reportage de lancé tandis qu’un léger sourire perle sur mes lèvres. Je savais parfaitement à quel moment exactement serait lancée la petite vidéo sympathique que j’avais secrètement ajoutée au JT du jour vu que nous partagions l’antenne.

« Une manifestation non autorisée par les autorités a eu lieu lundi dernier, bloquant les routes du centre-ville. Les manifestants ripostent contre les phénomènes paranormaux qu’ils verraient régulièrement, prenant d’ailleurs le « dragon » comme premier exemple »

Et là, au lieu du reportage prévu, c’est une vidéo de Caleb Kingston dansant fièrement dans son salon vêtu d’une robe rose et une longue perruque blonde, perchée sur des talons. Je ne peux retenir un rire léger devant le regard qu’il me jette avant que les techniciens ne comprenne d’où venait l’erreur. Arrêtant rapidement la vidéo, l’image revient sur nous.

« Les youtubeurs Baiaméens de la chaine « iabame tévé » ont vu leurs vidéos détournées par des utilisateurs de X, précédemment Twitter. La chaine spécialisée dans les parodies humoristiques avaient mis en scène « Hélène Tordue » et « Calvin Princeton » parodiant les présentateurs du JT dans un sketch annonçant qu’ils allaient se marier. Les utilisateurs de Twitter ont détourné la vidéo faisant croire que les véritables Eleanor Travers et Caleb Kingston se mariaient. »

A mesure que je lisais ce qui était écrit sur le prompteur, mes yeux s’ouvraient en grand.

« Que ? AH NON ! Je démentis ! Plutôt embrassé le cul d’un poulet que d’épouser cet idiot fini ! C’est UN MENSONGE ! JAMAIS JE NE ME MARIERAIS AVEC LUI ! On se déteste, c’est aussi simple que ça ! » lâchais-je avant de le pousser de sa chaise avec force tandis qu’il se retrouvait nez à nez avec un canard et ses canetons.

Je ne pu retenir un fou rire devant la scène qui se déroulait devant mes yeux.

Caleb a aussi bien réagi que sa collègue à l'annonce de Nathan, celui-ci leur imposant de faire le journal télévisé de cette journée ensemble, pour cause de travaux empêchant tout bonnement l'émission de 20h d'être diffusée. C'est à dire qu'il a causé une crise de mécontentement digne d'un enfant de dix ans en plein caprice, sous le regard blasé et désespéré de leur directeur de télévision. Bien sûr, il niera tout comportement de la sorte, prétextant être resté poli et neutre face à l'adversité, contrairement à sa chère collègue Eleanor, qu'il peut déjà entendre râler.

Déjà qu'il est difficile de voir son visage en temps normal, voilà qu'il va devoir se la coltiner pour les prochaines heures. Et madame fait la difficile, hurlant à s'en rompre les tympans, refusant de partager sa loge. Caleb grimace -- comme s'il avait envie de pénétrer dans un endroit aussi pitoyable. Il observe les lieux, une moue dégoûtée et moqueuse sur le visage, alors qu'il passe en revue chaque mauvais goût de Travers. Ça, on ne peut pas le nier, elle porte bien son nom.

« Jamais de la vie je touche à tes affaires, je voudrais pas choper le tétanos. Ou la peste bubonique. »

Après une séance de maquillage et de coiffage plutôt tendue, Eleanor quitte la pièce en vitesse, telle une furie. Caleb la suit de très près, avant de trébucher sur une bouteille en verre, manquant de casser le coccyx. Il peste entre ses dents, sachant pertinemment que ses vêtements vont empester tout le direct.

Il rejoint Eleanor un sourire crispé aux lèvres. Si elle essaie de le pousser de sa chaise, c'est une tentative ratée, et Caleb ne peut s'empêcher de jubiler intérieurement.

Enfin, le journal commence.

« Le cimetière de Baiame est au coeur d'un scandale. La police a arrêté des pilleurs de tombes, mais l'étonnante découverte de leurs actions a pris les autorités de court alors que la plupart des tombes étaient vides. Encore aujourd'hui, plusieurs tombes sont fouillées, et semblent révéler que seules les tombes des personnes décédées à partir de janvier dernier sont réellement pleine. »

On envoie le reportage en question, sans qu'aucune bavure ne se produise. Tu vois, Eleanor, il sait faire son travail sans accroc, lui !

« La BASR aurait fait un pas révolutionnaire dans la science pour l'observation spatiale. Selon les annonces écrites de son physicien Owen O'Neill, ils se rapprocheraient d'une fenêtre d'observation des planètes plus précise que les télescopes actuels, mais qui est pour l'instant capable de voir les nuages. Une avancée qui fait des sceptiques mais le procédé technologique en oeuvre serait pourtant nouveau dans l'histoire de l'astrophysique. »

Il s'esclaffe de rire en voyant Eleanor s'étouffer avec son eau, fortement salée, alors qu'un second reportage est lancé.

« Toujours à la BASR, la mairie aurait demandé à l'organisme de mieux sécuriser l'espace aérien de l'île, qui ne cesserait d'être parcourue par des véhicules aériens étrangers sans autorisation. »

Nouveau reportage.

C'est à son tour de recracher son eau, celle-ci étant coupée à de la javel. Sachant qui est la fautive, il décide de la recracher en plein sur la chemise de Eleanor, sans même se soucier qu'elle apparaisse trempée en plein direct.

« Suite à la démission soudaine du maire de Baiame, les candidatures pour une election exceptionnelle sont ouvertes. Pour rappel, il faut obtenir la signature des élus des quatre banlieues et de l'agglomération du centre-ville pour pouvoir se présenter. »

Eleanor lui fait un doigt d'honneur alors que le reportage est diffusé. Caleb le lui rend bien.

« Une cliente d'un resort de luxe de la banlieue ouest a porté plainte contre l'établissement qui aurait refusé de la croire alors qu'elle accusait une autre cliente d'être une sirène et de vouloir la noyer dans la piscine de l'établissement. »

Il se tourne vers Eleanor.

« Mais voyons, c'est mal de mentir ainsi. Tu devrais arrêter la drogue, ça te fait voir des choses. »

On le coupe alors que le reportage est envoyé in-extremis, privant ainsi leur audience d'apercevoir Eleanor se ruer sur Caleb pour lui balancer son talon en plein dans la tête.

Quand on revient à lui, on peut très nettement apercevoir le bout du talon sur son front.

« Les autorités ont été alertées à plusieurs reprises alors que des prestations musicales impromptues semblent intervenir partout sur l'île. Un danger potentiel pour la sécurité publique est soulignée par le chef de la police. »

Et c'est à ce moment là qu'on diffuse la vidéo de Eleanor, à moitié démaquillée, les cheveux en bataille, et chantant en tue-tête devant son miroir, sa brosse à cheveux pour micro improvisé. En dessous de la vidéo est diffusée en boucle une annonce, déclarant la présentatrice comme une menace à éviter à tout prix, avec le numéro des urgences juste à côté.

Caleb ricane devant l'air outrée de sa comparse. La vengeance est un plat qui se mange froid. Si elle pensait être la seule avec des vidéos compromettantes, elle se fourvoie grandement.

Puis c'est au tour d'Eleanor d'enchaîner et de conclure avec ses news sur des youtubeurs farceurs les ayant parodié tous les deux. Elle cause une nouvelle crise, que Caleb rejoint.

« Autant embrasser un putois, ils sentiront toujours meilleurs que toi ! »

Au loin, il peut entendre un soupir de désespoir, alors qu'il aperçoit Nathan, leur directeur, se prendre la tête dans les mains, à deux doigts de hurler et des les étrangler tous les deux !

C'est à ce moment-là que Eleanor le pousse de sa chaise, le faisant se retrouver avec son pire cauchemar, l'engeance du démon même : un canard. Caleb laisse échapper un couinement aucunement viril à la vue de l'oiseau.

Foutu pour foutu, leur audimat explosant probablement tous les records jamais enregistrées au vu de ce journal exceptionnel, Caleb fait un croche-pattes à Eleanor alors qu'elle s'éloigne du plateau, lui balançant de l'huile de moufette en plein dessus, sans même se rendre compte que les caméras tournent toujours.

« Ton parfum camelote de chez Sephora fait pâle figure à côté. Avec un peu de chance, tu trouveras l'amour de ta vie chez les putois ! »

Echec et mat !

Bonne chance à elle pour se débarrasser d'une telle odeur. Elle en a pour une semaine entière à tout faire partir.

Au loin, Nathan signale aux régisseurs de couper court à l'émission, faisant des gestes très animés.

Générique de fin.